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Le médecin
dans l’Occident romain
Fondée sur l’épigraphie, une étude récente de Bernard Rémy et Patrice Faure[1] recense plus de quatre-vingts professionnels de santé dans l’Occident romain : sages-femmes, infirmiers, pharmaciens et médecins. Ces derniers sont dans la majorité des cas désignés par le seul terme de medicus/a, beaucoup plus rarement par le mot grec iatros. Ce qui laisse entendre qu’il s’agit le plus souvent de généralistes. Quelques-uns, à l’instar du Narbonnais Lucius Suestilius Aprodisius, sont spécialisés en ophtalmologie, tandis qu’un Viennois s’enorgueillit d’être un tenant de la doctrine d’Asclépiade de Pruse, un praticien de Rome mentionné par Pline l’Ancien. Quant à Peregrinius Heliodorus de Mayence (Allemagne), il est qualifié par sa mère (peut-être trop aimante!), de « médecin d’une science accomplie ». Dans ce riche corpus, le statut de 62 d’entre eux est connu : 55 sont citoyens romains ou affranchis, cinq sont pérégrins et deux esclaves. Rares sont les épitaphes qui indiquent l’âge de décès des médecins. Le plus jeune, Sextus Julius Felicissimus, meurt à Aix-en-Provence à 19 ans, le plus âgé, Gaïus Domitius Pylades, à Mérida (Espagne) à 55 ans.
1- Un médecin soigne la blessure d’un guerrier (peinture de Pompéi). |
2- Stèle funéraire du médecin Marcus Junius Lunaris (Musée de Metz) |
La plupart se font une haute idée de leur mission et le célèbre Galien fournit d’utiles indications pratiques sur le comportement du bon médecin. Il doit « veiller à l’attitude de toute sa personne quand il entre et quand il est assis ; n’être pas humble au point de sembler méprisable, ne pas non plus faire montre d’orgueil et de jactance. Certains, en effet, entrent et s’asseyent en se redressant et en bombant le torse, d’autres avec un air efféminé, d’autres encore en faisant des courbettes, avec une mine humble. Il faut éviter toute exagération et chercher à garder un juste milieu. Pour la même raison, la tenue vestimentaire, elle aussi, doit être moyenne, ni somptueuse au point que tu passes pour un fat, ni négligée et par trop modeste » (Galien, Hipocrate, Epidémie 6, commentaire 4, 8). Quant aux vertus morales, le médecin, dans l’exercice de son art, doit s’efforcer de mettre en pratique les préceptes du serment d’Hippocrate. Le père du poète Ausone, médecin à Bordeaux au IVe siècle, accorde sa générosité à tous ceux qui le réclament, sans se faire payer, et avec le sens de ses devoirs. Il fait preuve d’une absolue discrétion chez ses patients, ignorant en toutes circonstances ce que cachent « les portes et les rideaux » (Idylles, II). Un de ses confrères, particulièrement soucieux de l’éthique de sa profession, renchérit : « Le médecin ne doit pas mesurer son intérêt ni ses soins à la fortune et à la situation de ses clients; il se doit sans distinction à tous ceux qui l’implorent. (…) Si elle ne se dévoue tout entière au service des malades, la médecine trahit la promesse qu’elle a faite aux hommes d’être bienfaisante et miséricordieuse » (Scribonius Largus, Compositiones).
3- « Aux dieux Mânes. Pour Anicius Ingenuus,
médecin ordinarius de la 1ère cohorte des Tongres. Il a
vécu 25 ans. » |
4- Intervention ophtalmologique, bas-relief, Montiers-sur-Saulx (Meuse). |
A l’échelle de l’Empire romain, les écoles de médecine les plus réputées sont celles d’Orient, principalement Ephèse, Pergame, Alexandrie, Cnide et Cos. L’enseignement de cette discipline demeure, en revanche, fort mal connu pour les Gaules. Il est probable que des écoles étaient établies dans des centres comme Marseille, Bordeaux, Metz ou Avenches, mais nous ignorons tout de leur organisation et de la durée des études. On peut, par exemple, s’interroger sur les compétences professionnelles du médecin aixois Sextus Julius Felicissimus, déjà mentionné et mort à 19 ans ! On peut penser que celui ou celle qui désire s’adonner à la médecine se doit d’entrer dans le giron de quelque praticien plus ou moins célèbre et chevronné, et devenir son disciple en l’accompagnant pour l’assister au chevet des malades. L’apprentissage consiste surtout en l’acquisition de recettes pratiques et de connaissances empiriques. Il appartient d’ailleurs au seul maître de juger à quel moment l’élève a achevé sa formation puisque nul contrôle officiel ne vient sanctionner le savoir du débutant.
5- Coffret d’un oculiste itinérant (IIe siècle), nécropole de la Favorite à Lyon. (Cliché C. Thioc/Musée gallo-romain de Lyon-Fourvière). |
6-Ventouse en bronze recueillie à Martigny (Suisse). Cliché service Archéologique et Fondation Pierre Gianadda, Musée archéologique. |
L’ophtalmologie et la chirurgie oculaire, notamment l’opération de la cataracte, sont des domaines bien maîtrisés et l’une des grandes spécialités de la médecine gallo-romaine. Les oculistes sont surtout présents par les cachets qu’ils impriment sur des bâtonnets de collyres solides. Cette utilisation de préparations solidifiées qu’on ramollit ou qu’on délaie au moment de l’emploi, est d’ailleurs tout à fait spécifique des Gaules et des contrées voisines. En d’autres régions de l’Empire, en effet, les médicaments des yeux se présentent sous forme liquide. A tel point que sur les 268 cachets d’oculistes recensés il y a quelques années, la grande majorité provient des Gaules. Ces cachets revêtent l’aspect de petites tablettes rectangulaires ou carrées en pierre dure, dont les quatre côtés sont gravés en creux et à l’envers. L’inscription mentionne l’identité du praticien, le nom du collyre, sa composition, l’affection traitée et parfois son mode d’application. C’est ainsi qu’un cachet retrouvé à Saintes précise : « Collyre de Marcus Julius Sanctus, à la renoncule, pour les cicatrices. »
7- Pince de dentiste
découverte à Vindonissa en Suisse. |
8- Stèle funéraire d’une
femme médecin |
Ce texte reprend, avec quelques légères modifications, l’article paru dans la revue L’Archéologue. Archéologie nouvelle n° 112, février-mars 2011.
[1] Les médecins dans l’Occident romain, Ausonius Editions (Scripta Antiqua 27), Bordeaux, 2010. Voir aussi Quoi de neuf, docteur ? Médecine et santé à l’époque romaine, Catalogue d’exposition, musée romain de Nyon, sous la direction de Véronique Dasen, 2010.
Consulter les précédentes études :
- Les bibliothèques publiques dans l'Empire romain.
- L'eau, un symbole de la romanisation en Gaule.
- Le martyrologe des mégalithes de l’Indre
- Les enseignants en Gaule romaine
- Le jeton érotique romain du musée d’Argentomagus à Saint-Marcel (Indre)