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La sage-femme en Gaule et dans l’Occident romain

 

« Julia Pieris, sage-femme, repose ici. Elle ne fit jamais de mal à personne ». Recueillie à Trèves (Allemagne), cette inscription funéraire est la seule épitaphe complète d’une sage-femme en Gaule romaine. L’accoucheuse y est désignée par le terme obstetrix qui signifie littéralement « celle qui se tient devant ». Un autre mot, équivalent, iatromea, n’est pas, pour le moment, attesté en Gaule.

 

Trois figurations seulement représentent une sage-femme dans l’exercice de sa profession. La plus connue – et la plus suggestive de toute l’Antiquité – provient d’Ostie (Italie). C’est un petit bas-relief en terre cuite daté du IIe siècle de notre ère, dédié à Scribonia Attica et retrouvé à Isola Sacra. Devant la parturiente assise et nue, Scribonia est représentée assise en contrebas sur une sorte de petit banc. Elle semble vérifier de la main droite la dilatation du col, tout en détournant la tête pour ne pas offenser la pudeur de la femme en couches, de peur que celle-ci ne se contracte et ne compromette le bon déroulement de l’accouchement. Scribonia n’agit pas seule. Placée debout derrière la parturiente, son assistante maintient la femme sous la poitrine afin qu’elle garde le haut du corps bien droit et favorise ainsi la descente de l’enfant.

 

Stèle funéraire de la sage-femme Julia Pieris (Rheinisches Landesmuseum de Trèves). « Julia Pieris, sage-femme, repose ici. Elle ne fit jamais de mal à personne. » (Corpus des Inscriptions latines, XIII, n° 3706).

Cliché de l’auteur.

 

Scène d’accouchement découverte à Ostie (Italie). Terre cuite façonnée ornant le monument funéraire de la sage-femme Scribonia Attica (Longueur : 41,5 cm). Musée d’Ostie. Scribonia constate de la main droite l’état d’avancement du travail tout en détournant la tête pour ne pas froisser la pudeur de la parturiente assise sur un siège obstétrical.

Cliché Soprintendenza Archeologica di Ostia.

 

Presque aussi riche sur le plan documentaire est une scène gravée sur une plaquette d’ivoire conservée au musée archéologique national de Naples (Italie). Une sage-femme assise, les avant-bras nus, semble saisir la tête d’un bébé qui apparaît entre les genoux de l’accouchée. Celle-ci  s’appuie sur un long bâton afin de pousser plus efficacement et s’accroche au cou d’une aide qui, debout derrière elle, la maintient au niveau des hanches. Une troisième représentation, de très petites dimensions, figure au registre inférieur d’une stèle minuscule, haute de 0,15 m, conservée au musée de l’abbaye Saint-Germain à Auxerre (Yonne). On y voit un personnage masculin debout sous un édicule. Sous la ligne du sol est gravée une scène de parturition dont la maladresse d’exécution rend la lecture difficile. Une femme nue, allongée sur un lit,  soulève au-dessus d’elle l’enfant qu’elle vient de mettre au monde. Le corps de l’accouchée est en contact avec un troisième personnage placé en position horizontale, qui paraît agenouillé et tient le bébé par la partie inférieure du corps. Il s’agit manifestement de la sage-femme tandis qu’on devine également une quatrième silhouette, peut-être une assistante.

 

Scène d’accouchement. Plaquette d’ivoire conservée au musée archéologique national de Naples. Assise, la sage-femme, les avant-bras nus, semble saisir la tête de l’enfant qui apparaît entre les genoux de la femme. Cliché musée de Naples.

 

Petite stèle en calcaire découverte à Hauterive (Yonne). Au registre inférieur figure une scène de parturition. Hauteur du petit monument : 0,15 m. Musée de l’Abbaye de Saint-Germain d’Auxerre.

Cliché Christophe Raimbault.

 

Détail de la stèle d’Auxerre. Couchée sur un lit, la parturiente soulève au-dessus d’elle le bébé qui vient de naître. A gauche, le personnage, lui aussi allongé, figure la sage-femme.

Cliché Christophe Raimbault.

 

Détail de la scène d’accouchement représentée sur la petite stèle d’Auxerre. Cette scène de parturition est minuscule : elle ne mesure que 8 cm x 2,5 cm !

Cliché Christophe Raimbault.

 

Il faut se tourner vers les textes médicaux pour mieux appréhender la sage-femme romaine. Le portrait de la praticienne idéale est brossé par Soranos d’Ephèse.  Médecin, il exerça à Rome sous les règnes de Trajan (98-117) et d’Hadrien (117-138) et écrivit le traité Des maladies des femmes. « Elle ne change pas de méthode devant la variation des symptômes, remarque-t-il, mais donne ses soins en accord avec le déroulement de la maladie, sans se départir de son calme, sans se  démonter dans les moments critiques ; elle peut congrûment justifier les remèdes qu’elle prescrit ; elle rassure les patientes, compatit à leurs souffrances. » (I, 3). Soranos la veut également vigoureuse, tempérante et sobre. Elle doit être constamment disponible, ignorant à quelle heure du jour ou de la nuit on réclamera ses soins. Elle doit demeurer insensible à l’appât du gain et présenter un caractère réservé afin de ne jamais divulguer les secrets d’alcôve. Etrangère à toute superstition, elle s’interdit de  sacrifier à la moindre pratique secrète ou abortive. « Il lui faudra aussi conserver à ses mains la douceur en évitant le travail de la laine, qui peut les rendre rêches ; l’usage d’onguents lui donnera des mains lisses, si elles ne le sont pas naturellement. »

 

Comment acquérir ou cultiver toutes ces compétences et se forger un tel caractère ? Probablement par un long apprentissage sur le tas, en commençant par devenir l’assistante d’une praticienne chevronnée. D’ailleurs, afin de distinguer le sujet apte à devenir une bonne sage-femme, Soranos énumère les qualités de base requises : « Le sujet possède une instruction élémentaire, de la vivacité d’esprit, de la mémoire, de l’ardeur au travail, de la discrétion ; en règle générale, il  lui faut une sensibilité vive, des membres bien proportionnés, de la robustesse (…), la robustesse s’impose parce qu’en raison de la fatigue physique que lui causent ses tournées, une sage-femme assure deux fois son travail ; elle doit enfin avoir les doigts longs et fins et les ongles ras pour pouvoir toucher sans risquer de léser des zones enflammées profondes. » (Des maladies des femmes, I, 2).

 

Bien des praticiennes pourtant, étaient à cent lieues de ce portrait idéal incarné par la Trévire Julia Pieris ! A Rome notamment, on les taxait volontiers d’incompétence, d’âpreté au gain et d’ivrognerie. Ammien Marcellin rapporte par exemple qu’au IVe siècle, en Gaule, Hélène, épouse de l’empereur Julien, « avait mis au monde un enfant mâle, qu’elle perdit par suite de l’artifice suivant : la sage-femme, gagnée à prix d’argent, fit périr cet enfant à peine né en coupant plus qu’il ne convenait le cordon ombilical. » (Histoire de Rome, XVI, 10, 18-19). Quant à celles dont l’honnêteté ne faisait pas l’ombre d’un doute, leur pragmatisme ne pouvait faire oublier leur absence de véritable connaissance théorique. Et bien souvent, leur rôle se bornait à recevoir l’enfant sur un linge dont elles avaient préalablement recouvert leurs mains.

 


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