Retour à la page d'accueil


Vous pouvez télécharger l'article pour le lire sur une liseuse ou une tablette en cliquant sur les icônes ci-dessous ou, selon la configuration de votre navigateur, en cliquant avec le bouton droit sur l'icône puis en choisissant "enregistrer la cible du lien sous" ou "enregistrer le lien sous" :

epub               azw3 (Kindle)      PDF

 


 

 

Les enseignants en Gaule romaine

 

   « Les esprits obtus et fermés à l’instruction ne sont pas plus dans l’ordre de la nature humaine que les êtres anormaux ou marqués par des monstruosités ; mais à vrai dire ils sont fort peu nombreux. La preuve, c’est que chez les enfants apparaissent de brillantes et nombreuses espérances. » Ce propos de Quintilien (Institution oratoire, I, 1, 2), rhéteur puis avocat au cours de la seconde moitié du 1er siècle de notre ère, en soulignant les dispositions naturelles de l’enfant, légitimait de manière convaincante la mission des enseignants.

 

Trois niveaux successifs


 

   L’enseignement était réparti en trois niveaux successifs confiés chacun à des maîtres spécifiques. Dès l’âge de 7 ans, l’enfant entre à l’école primaire où, sous la férule du maître d’école (primus magister ou magister ludi litterarii), il acquiert les notions de base : lire, écrire, compter. Vers l’âge de 11 ou 12 ans, les élèves suivent l’enseignement secondaire dispensé par le grammairien (grammaticus). Il leur inculque les secrets des langues latine et grecque par l’explication des auteurs classiques. Le dernier degré est abordé vers l’âge de 15 à 16 ans. Sous la direction du rhéteur (rhetor ou orator), l’étudiant apprend, entre autres disciplines, la maîtrise de l’art oratoire.

 

   Il convient de nuancer le schéma de ce système éducatif à trois niveaux. N’accèdent à l’école, et principalement au dernier degré, que les enfants des familles les plus aisées et rares sont les jeunes filles qui accomplissent un cursus scolaire complet.  L’idéal féminin ne se résumait-il pas alors, si l’on en croit le poète bordelais Ausone (Parentales, II), à se conduire en bonne épouse, à manifester un vif intérêt pour l’éducation de ses enfants, à régner sur sa maison et à savoir bien filer la laine ? Chez les plus riches, les enfants restent à la maison où ils reçoivent l’enseignement d’un précepteur avant de rejoindre la classe du grammairien ou du rhéteur. Quant aux enfants des classes les plus modestes, ils se contentent probablement d’apprendre un métier dans le cadre familial ou chez un artisan. Les notions d’écriture ou de calcul se réduisaient alors peut-être à celles qu’il était indispensable de maîtriser pour l’exercice du métier choisi.

 

   Grâce à Ausone (Souvenirs aux professeurs de Bordeaux), des rhéteurs et des grammairiens aquitains du IVe siècle nous sont connus. Ailleurs, les enseignants se dérobent et seuls quelques rares documents permettent de les appréhender un peu. L’épigraphie mentionne au moins cinq grammairiens, un à Limoges, un à Marseille et trois à Trèves, deux de latin et un de grec. Des professeurs – sans autre précision – sont cités à Avenches (Suisse) tandis qu’un maître de calcul est connu à Worms (Allemagne). Une inscription de Nîmes fait état de deux paedagogi, une femme, Porcia Lada et un esclave, Optatus. Ces pédagogues étaient probablement des précepteurs ou des adultes chargés d’accompagner sur le chemin de l’école des enfants de quelque riche Gallo-Romain. Ils assumaient souvent, en outre, la fonction de répétiteurs. Quelques reliefs – Trèves, Strasbourg, Arlon, Narbonne – permettent certes de se représenter concrètement ces enseignants mais leur richesse documentaire demeure limitée.

 

1 - Bas-relief de l’école découvert à Neumagen (Allemagne). Grès, hauteur : 0,60 m. Rheinisches Landesmuseum de Trèves. Deux élèves lisent sur un volumen (rouleau de papyrus) qu’ils déroulent devant eux. A droite arrive un autre élève qui lève la main comme pour s’excuser de son retard.

2 - Maître d’école. La férule sur l’épaule, il a l’air renfrogné. Il est debout devant un tableau dont seule une partie du cadre est visible. Grès, longueur : 0,70 m. Musée luxembourgeois d’Arlon (Belgique)

 

De la passion à la médiocrité


 

   Tous les maîtres, si l’on en croit Ausone, avaient en commun « l’ardeur à l’étude et le profond amour de l’enseignement » (Souvenirs aux professeurs de Bordeaux, préface). Tous manifestaient des qualités d’éloquence et une haute valeur morale. Certains étaient doués d’une mémoire prodigieuse, à l’instar de Tiberius Victor Minervius, professeur d’art oratoire : « Il te suffisait, rapporte Ausone (op. cit. I), d’entendre ou de lire une seule fois ce que tu voulais graver dans ton souvenir ; (…) nous t’avons vu un jour, après une partie longtemps disputée, rappeler un à un tous les coups du jeu, tous les dés qui tour à tour étaient sortis (…) chacun des points qui avaient été joués ou recommencés dans ces longues luttes. » Le désintéressement était une autre qualité de quelques-uns de ces professeurs qui ne réclamaient rien pour instruire les enfants les plus défavorisés. Certains étaient fort cultivés. C’était le cas d’Ausone lui-même mais aussi de Staphylius, un rhéteur de la région d’Auch qui possédait à fond l’Histoire de Tite-Live et celle d’Hérodote et « l’ensemble de tout le savoir enfermé dans les six cents livres de Varron ! » (op. cit., XX).

 

   D’autres brillaient par leur médiocrité, comme Attius Tiro Delphidius, « peu assidu aux devoirs de l’enseignement » ou Rufus, un rhéteur poitevin « peu éloquent et peu mâle » à qui Ausone consacra plusieurs poèmes acerbes (Epigrammes, XLV à LII). On se moquait volontiers des enseignants ! Des maîtres de l’enseignement élémentaire surtout, qui n’avaient pas très bonne réputation. En témoigne une figurine en terre blanche de Moulins représentant un singe habillé en maître d’école. Ce singe savant semble d’ailleurs faire écho à une épigramme d’Ausone : « Parce que ta bibliothèque est bien garnie de livres achetés, tu te crois un savant et un grammairien, Philomusus.  A ce compte, fais-moi provision de cordes, d’archets, d’instruments, et, tout cela payé, demain te voilà musicien ! » (op. cit. XLIV). Cette statuette irrévérencieuse n’est pas sans rappeler un groupe en terre cuite provenant d’Egypte – d’époque romaine et conservée au musée du Louvre – où l’on voit un maître à tête d’âne enseignants à de petits singes, certains debout récitant leur leçon, d’autres sagement assis, leurs tablettes d’écriture sur leurs genoux…

 

3 - Stèle funéraire du grammairien Blaesianus. Granit, hauteur : 1,06 m. Musée municipal de l’Evêché à Limoges.

4 - Enseigne de grammairien découverte à Marseille en 1833 et inscrite en caractères grecs : « Athénadès, fils de Dioscouridès, grammairien en langue romaine ». Cette petite plaque de marbre montre que les Marseillais du IIIe siècle de notre ère lisaient le grec sans grandes difficultés. Musée de la Bourse, Marseille.

 

Les férules cruelles


 

   « Si l’enfant obéit spontanément, rien de mieux ; sinon, comme on redresse un bâton tordu et recourbé, on le redresse par des menaces et par des coups. » Il apparaît que bien des enseignants gallo-romains mirent en pratique cette recommandation de Platon (Protagoras, 325d). Les témoignages abondent qui révèlent cette sévérité, voire cette brutalité des maîtres. Ovide évoque les enfants dont les « mains délicates s’offrent aux férules cruelles » (Les Amours, I, 13). Ausone s’efforce, quant à lui, de rassurer son petit-fils terrorisé : «  Toi non plus ne tremble pas, malgré les coups nombreux qui retentissent dans la classe et la mine rechignée de ton vieux précepteur (…) que les gémissements, que le fouet qui résonne, que l’effroi du châtiment ne t’agitent pas dès le matin, parce que le roi de la férule brandit son sceptre, parce qu’il a une riche provision de verges, parce ce qu’il a, le traître, affublé son martinet d’une molle lanière, parce que vos bancs bourdonnent d’un frémissement de terreur : oublie ce prestige du lieu, ce vain appareil d’épouvante. » (Idylles, IV).

 

   Les découvertes archéologiques confirment cette violence des enseignants alors considérée comme normale et, à ce titre,  pleinement acceptée par les parents. « Le fouet du cruel Gratius m’a enseigné l’écriture », griffonne maladroitement un élève sur un mur de sa riche demeure à Ahrweiler (Allemagne). A Arlon (Belgique), un bas-relief aujourd’hui perdu mais connu par un dessin, représente une scène de châtiment corporel. Le maître, courroucé, lève le bras et semble contraindre son aide à frapper un enfant à demi nu, la tunique enroulée autour de la taille… On en arriverait presque à comprendre le mot de saint Augustin : « Qui ne serait horrifié, qui ne préfèrerait la mort si on lui offrait de subir soit la mort, soit à nouveau l’enfance ? «  (La Cité de Dieu, XXI, XIV).

 

   La brutalité de ces méthodes pédagogiques, fondées sur la coercition et la terreur, ne faisaient cependant pas l’unanimité dans le corps enseignant. Ecoutons Quintilien : « Quant à frapper les élèves, c’est une pratique dont je ne voudrais pas le moins du monde, tout d’abord parce qu’elle est honteuse et faite pour des esclaves et vraiment injurieuse ; de plus, si un enfant a l’esprit assez dépourvu de noblesse pour qu’une réprimande ne le corrige pas, il s’endurcira même aux coups reçus… » (Institution oratoire, I, III, 14). Trois siècles plus tard, Ausone condamne lui aussi coups et violences, leur préférant « quelques encouragements flatteurs, un léger sentiment de crainte. (…) beaucoup de douceur dans les réprimandes pour venir à bout d’une jeunesse indocile. » (Idylles, IV).

 

5 - Inscription de Nîmes mentionnant deux pédogogues, une femme nommée Porcia Lada et un esclave, Optatus. Musée archéologique de Nîmes.

6 - Singe habillé en maître d’école. Cette statuette facétieuse en terre cuite est conservée au musée Anne de Beaujeu de Moulins (Allier).

 

Quelques outils pédagogiques


 

   Chez certains maîtres, ce respect des élèves générait des apprentissages plus agréables. Déjà, au 1er siècle avant J.-C., Horace mentionne des enseignants « qui usent de douceur et, plus d’une fois, donnent des friandises aux enfants pour qu’ils consentent à apprendre l’alphabet » (Satires, I, 1). Quintilien fait allusion « à un jeu de figurines d’ivoire » destiné à encourager les enfants à l’étude des syllabes. Il ajoute que tout ce que le maître peut imaginer comme outils pédagogiques pour plaire davantage à son auditoire doit être recherché car les élèves aiment à « manier, regarder, nommer » (Institution oratoire, I, I, 26). Il préconise également les jeux et notamment ceux qui permettent « d’aiguiser les dispositions naturelles des enfants, par exemple lorsqu’ils concourent entre eux en se posant réciproquement de petits questions de tout genre » (op. cit., I, III, 11).

 

   Dans le même ordre d’idées, Suétone mentionne un grammairien qui, afin de susciter l’émulation lorsqu’il proposait un sujet de composition à ses élèves, leur présentait le prix qu’allait remporter le vainqueur : « quelque livre ancien, joli ou assez rare » (Des grammairiens et des rhéteurs, XVII). Mais qu’on ne se méprenne pas sur ce comportement plus humain : la sévérité était partout de rigueur et Pétrone se trompe lorsqu’il écrit qu’aujourd’hui – c’est-à-dire vers le milieu du 1er siècle de notre ère – « les écoles sont des salles de jeux pour les gamins ! » (Satiricon, IV).

 

   Pour les élèves les plus âgés, les rhéteurs disposaient d’instruments pédagogiques particulièrement élaborés. A Autun, l’université – les écoles méniennes – accueillait « les plus nobles rejetons des Gaules » (Tacite). Afin de leur enseigner la géographie et l’histoire, les professeurs pouvaient  s’appuyer sur de véritables cartes du monde romain peintes sous des portiques. Voici comment Eumène, le plus illustre des rhéteurs d’Autun, décrit ces cartes à la fin du IIIème siècle. « Qu’en outre la jeunesse voie (…) chaque jour toutes les terres et toutes les mers et tout ce qu’en fait de villes, de peuples, de nations, nos princes invincibles restaurent par leur piété ou domptent par leur vaillance ou paralysent de terreur. Puisqu aussi bien on a là (…) pour instruire la jeunesse et afin qu’ils apprennent plus clairement par les yeux des connaissances qu’on acquiert plus difficilement par l’ouïe, représentés avec leurs noms, la position de tous les pays, les étendues, les distances, tout ce qui en fait de fleuves prend sa source et se jette dans la mer, tous les points où s’incurvent les golfes des rivages et partout où l’océan entoure le globe et le recouvre avec violence. Que les hauts faits de nos très vaillants empereurs soient passés en revue à travers les différentes régions. (…) Car maintenant, oui, maintenant enfin, nous avons plaisir à contempler la représentation peinte de monde. (Discours sur la restauration des écoles d’Autun, XX-XXI).

 

7 - Ce groupe en terre cuite est la caricature d’une classe. Devant un maître à tête d’âne, des élèves à têtes de singes récitent leurs leçons. D’autres sont assis sagement, leurs tablettes d’écriture sur leurs genoux.  Egypte romaine, musée du Louvre.

8 - Scène d’école. Dessin ancien d’un bas-relief en calcaire aujourd’hui très abimé, conservé au musée de Narbonne. Longueur : 1,30 m.

 

Maigre profit et mince gloire


 

   La considération dont jouissaient les enseignants – et que traduisait pour l’essentiel leur rétribution – était fonction des trois niveaux, primaire, secondaire et supérieur. Au plus bas de la hiérarchie, le maître d’école, ainsi que le remarque H.-I. Marrou dans sa magistrale Histoire de l’éducation dans l’Antiquité (1948), était regardé comme un « pauvre hère », et son métier, « le dernier des métiers », tout juste bon pour « des esclaves, des affranchis ou de petites gens ». Selon l’Edit du maximum promulgué en 301, leur salaire était de 50 deniers par élève et par mois. Une misère ! Un maçon nourri percevait, lui, 50 deniers par jour. Il fallait donc au maître trente élèves pour gagner autant que le maçon à la fin du mois… A la condition, bien sûr,  que les parents soient bons payeurs ! Selon le même édit, le grammairien recevait 200 deniers par élève et par mois, le rhéteur 250. Encore convient-il de relativiser ces chiffres : une paire de chaussures de première qualité, sans clous, pour muletiers et paysans, coûtait 150 deniers et un boisseau de froment 100 deniers. A la fin du IVe siècle,  la qualité professionnelle des grammairiens et des rhéteurs avait, semble-t-il,  considérablement baissé. Aussi ? par un rescrit de 376,  l’empereur Gratien accorda-t-il pour les Gaules quelques largesses aux professeurs « qu’aux orateurs soient donnés sur le fisc des émoluments de 24 rations, qu’aux grammairiens d latin et de grec soit donné, selon l’usage, un nombre plus réduit de 12 rations » (Code théodosien, XIII, 3, 11). Cette revalorisation des rétributions s’avérait indispensable. L’objectif premier de l’enseignement n’était-il pas alors de former les cadres locaux et les hauts fonctionnaires de l’Empire ?

 

   Et les vacances ? S’il n’est pas toujours possible d’avancer des dates précises, compte tenu des disparités régionales entre les provinces et des modifications qui se produisirent probablement au fil des ans, on connaît néanmoins les grandes lignes du calendrier scolaire romain. Les congés d’été étaient les plus longs, de courant juillet aux ides d’octobre. Puis venaient les vacances d’hiver durant les Saturnales, du 17 au 23 décembre. Les derniers congés – nos vacances de printemps – offraient cinq jours de repos aux enseignants, du 19 au 23 mars à l’occasion des quinquatries, fêtes en l’honneur de Minerve, patronne des arts et de l’étude. A ces congés s’ajoutaient les jours fériés non travaillés et le dimanche, chômé à partir de l’empereur Constantin le Grand (306-337).

 

© Gérard Coulon 2008.

 

Bibliographie sommaire


 

Bost J.-P. et Perrier J., Un professeur de grammaire à Limoges sous le Haut-Empire, Bull. de la Soc. Hist. et Arch. du Limousin, CXVI, 1989, p. 55-66.

Chassel M.-L., Ecoles et éducation en Gaule romaine, Mémoire de maîtrise, Université de Tours, 2002.

Coulon G., L’enfant en Gaule romaine, Paris, Ed. Errance, 2004.

Marrou H.-I., Histoire de l’éducation dans l’Antiquité, Paris, Seuil, 1948.

                                       

Ce texte reprend, avec quelques légères modifications, l’article paru dans la revue L’Archéologue. Archéologie nouvelle en 2004 (n° 69, p. 35-38).

Retour à la page d'accueil